Qui doit-on « vivement critiquer » : la monarchie ou le PJD ?


Le Monde diplomatique fait partie de l’un des rares journaux français qui analysent de manière profonde et perspicace les processus qui ont lieu dans le Maghreb et le Machrek. Le numéro de novembre consacré aux « islamistes à l’épreuve du pouvoir » en est un bon exemple. Toutefois, l’article portant sur le Maroc intitulé « un gouvernement marocain sous surveillance royale » se focalise sur un aspect secondaire du processus en cours dans ce pays et comporte quelques erreurs.

Contrairement au reportage portant sur la révolte des jeunes dans le Rif du mois d’octobre qui accorde une place centrale à la question des luttes sociales et populaires du « Maroc profond » celui de ce mois de novembre aborde de manière superficielle la question de la marge de manœuvre du gouvernement dirigé par les islamistes du Parti de la Justice et du Développement (PJD).

La dynamique portée par le mouvement du 20 février et les révoltes populaires qui ont secoué le pays ont certes barré la route à la montée du Parti de l’Authenticité et de la Modernité (PAM) fondé par des proches du roi et ont permis aux islamistes du PJD d’accéder à un gouvernement qui leur a été jusqu’à présent refusée mais la situation actuelle n’accorde aucun pouvoir réel de décision à Benkirane et à son équipe. De son côté, le régime se maintient, par une cooptation contrôlée des islamistes du PJD, et sort relativement sain et sauf d’une première vague révolutionnaire qui a fait chuter plusieurs dictateurs de la région.

Le régime réussit également à capter une nouvelle élite et à légitimer son image aux yeux de la communauté internationale et d’une partie de la population qui aurait peur de l’inconnue  que constitue une « transformation du régime ». Et cela tout en préservant le caractère absolu, despotique et personnel du pouvoir.

C’est un euphémisme de la part de l’auteure que de dire qu' »un an après la victoire électorale du PJD, les marocains portent un jugement contrasté sur leur gouvernement« . Les islamistes ont perdu plus rapidement leur légitimité que le parti de l’USFP au moment de « l’alternance » et le doute s’est installé chez plusieurs de leurs sympathisants. Mais ce qui est important n’est pas l’érosion de la popularité des islamo-monarchistes du PJD c’est surtout la fracture de l’image de la sacro-sainte monarchie protectrice du peuple. Le « printemps arabe » a eu ceci de vertueux qu’il a permis la critique ouverte de la monarchie et du système qu’elle met en place. Cette remise en cause n’est plus seulement portée par un groupe de militants mais on la retrouve dans des franges plus larges de la population. Ainsi, des slogans qui remettent en cause la légitimité du roi ou de son régime sont désormais ouvertement scandés dans plusieurs manifestations et révoltes populaires.

Deux actions symboliques qui ont été menées durant ces derniers mois ont fissuré l’image d’une monarchie moderne dirigée par un roi qui s’intéresse aux pauvres. La première est celle d’un sit-in du 22 aout à Rabat et du 1er septembre devant l’ambassade du Maroc à Paris contre la cérémonie d’allégeance (Bay’a) qui a mis en évidence le caractère humiliant et moyenâgeux d’une monarchie marocaine souvent présentée comme un exemple de modernité dans la région. La deuxième action est un rassemblement organisé le 18 novembre devant le parlement pour rappeler aux soi-disant élus de la nation qu’ils doivent s’opposer au budget astronomique accordée au Palais alors que le pays subit les conséquences de la crise économique et que le chef du gouvernement demande aux citoyens de faire des efforts et de « serrer la ceinture« . Même si cette action fut violemment réprimée elle a dévoilé et rappelé comment la monarchie continue à ponctionner une partie de la richesse nationale alors même qu’elle continue, via sa holding, à maintenir voire à accélérer son système de prédation économique. Il ne s’agit donc pas d’un roi qui s’intéresse aux pauvres mais plutôt d’un roi qui exploite ses pauvres.

On peut également lire dans l’article du Monde diplomatique que « les critiques les plus vives proviennent d’un groupe actif de cadres urbains, dont les vues sont progressistes et à tendance laïque. Elles portent pour l’essentiel sur les problèmes de société, notamment le statut des femmes. » En réalité, les plus vives critiques qui sont adressées au gouvernement actuel et à la monarchie proviennent du mouvement du 20 février, des organisations qui le soutiennent et surtout des populations qui se révoltent comme dans le Rif, à Taza, Imider et à Chlihates. L’auteure de l’article tombe donc dans le raccourci d’une opposition entre « Conservateurs » Vs « Modernistes » que la monarchie voudrait nous imposer pour signifier à ceux qui se revendiqueraient de l’un des deux camps qu’elle est garante et de l’authenticité et de la modernité du pays. D’ailleurs, l’ingénierie politique de la monarchie tente de nous confectionner un nouveau clivage politique digne de l’exception marocaine : une coalition moderniste pro-régime qui comprendrait, entre autres, l’USFP, le PAM et le RNI et une coalition conservatrice pro-monarchique conduite par le PJD, le PI et le MP. Ces deux coalitions ont d’ailleurs pour règle commune de ne pas remettre en cause la monarchie même si c’est elle qui fixe les politiques économiques et sociales au Maroc.

Mais ce qui se produit en ce moment même en Jordanie constitue peut-être le début d’une deuxième vague révolutionnaire qui pourrait faire vaciller les dernières monarchies de la région. L’augmentation des prix en Jordanie qui est, comme le Maroc, un pays non exportateur de pétrole a relancé des révoltes qu’on croyait finies. Celles-ci se sont d’ailleurs radicalisées et ont haussé le ton en scandant clairement : « le peuple veut la chute du régime hachémite ». Son lointain cousin alaouite n’est pas non plus sorti du gouffre de la contestation puisqu’il n’offre aucune perspective d’émancipation politique, économique et sociale pour le peuple marocain et pour une jeunesse épris de liberté, d’égalité et de justice.

P.S : L’article de Madame Wendy Kristianasen comporte quelques erreurs : on notera notamment le fait que le PJD n’appartient pas à la mouvance des frères musulmans comme elle le déclare dans l’article. Certes M. Ramid, ministre de la justice et des libertés, est polygame mais madame Bassima Hakkaoui, membre du gouvernement, n’est pas sa deuxième épouse. Enfin, la multiplication de la fortune du monarque provient d’un système de prédation organisé principalement autour de la holding royale et des avantages accordés et non pas directement par les revenus du phosphates comme le prétend l’auteure.

Badil Tawri. Pour une alternative révolutionnaire

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